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L’ARRIVÉE D’UN OUVRIER À PARIS 1847
par erckmann-chatrian

À mesure que nous approchions de Paris, tout changeait, tout prenait un autre air : les villages devenaient plus grands, les maisons plus hautes, les fenêtres plus serrées ; les enseignes, — qu’on ne met jamais chez nous que sur la porte, — montaient au premier, au second, au troisième étage, rouges, bleues, jaunes, de toutes les couleurs, jusque sous les toits. Au-dessous, les cafés, les auberges, les boutiques, se rapprochaient ; devant les maisons s’avançaient des espèces de toits en toile, pour abriter le monde de la pluie et du soleil. Une foule de gens en blouse, en habit, en veste, en casquette, en chapeau, allaient et venaient, couraient, se dépêchaient comme de véritables fourmilières.

À droite et à gauche, de hautes cheminées en briques, carrées ou rondes, lançaient leur fumée jusque dans le ciel. On sentait venir quelque chose de grand, d’extraordinaire, de magnifique et de terrible. Et derrière nous, à gauche, s’éloignait déjà une haute fortification carrée ; le conducteur m’avait dit en passant :

« C’est Vincennes. »

Moi, j’ouvrais les yeux, je ne respirais plus, je pensais :

« Me voilà donc près de Paris ; je vais entrer dans cette grande ville dont j’entends parler depuis que je suis au monde, d’où reviennent tous les bons ouvriers, tous les gros bourgeois, tous les gens riches, disant :

« Ah ! ce n’est pas comme à Paris ! »

Et ce mouvement du monde, ces voitures toujours plus nombreuses, me faisaient dire en moi-même :

« Oui, ils avaient raison, Paris est quelque chose de nouveau pour les hommes. Bienheureux ceux qui peuvent vivre de leur travail à Paris, où les ouvriers ne sont que des apprentis, et les maîtres des ouvriers ! » La grande route était devenue beaucoup plus large, elle était bien arrondie, pavée au milieu. On voyait de loin, bien loin, tout au bout, deux hauts échafaudages qui s’élevaient jusqu’aux nues.

En ce moment le conducteur donnait un pourboire au postillon, la voiture roulait comme le tonnerre. Bien d’autres voitures passaient près de nous toutes pleines de monde, des espèces de diligences ouvertes derrière,