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de se guérir en masse, en tuant onze mille pauvres Italiens aux batailles de Parme et de Guastalla, batailles taxées d’inutiles par d’aveugles historiens. Le pape fit de sévères remontrances au cardinal de Fleury et le menaça de lui enlever son chapeau s’il n’inventait pas quelque nouvelle coiffure, puisque l’ancienne déplaisait au roi et à la cour. Fleury, poussé à bout, voulut renchérir sur Mazarini : il inventa la poudre. Un matin, il parut devant Louis XV avec des cheveux pétris dans un ciment d’amidon. Le cardinal avait un extérieur grave, et, bien qu’il commît quelques triches en jouant au piquet, on le regardait généralement comme un homme vertueux. Sa nouvelle coiffure fut jugée comme une inspiration du ciel ; et Louis XV, qui déjà s’ennuyait beaucoup à Versailles, voulut bien reconnaître les hauts services à lui rendus par le cardinal, en faisant bâtir le royal édifice de sa chevelure avec du ciment d’amidon. La contagion gagna toutes les têtes, car le roi était adoré. Les dames, ennuyées aussi de se voir classer en brunes et blondes, adoptèrent avec enthousiasme une mode qui les faisait toutes blanches et les dispensait d’avoir des cheveux. L’Italie rentra dans un doux repos, et le pape promit au cardinal de le canoniser au bout de cent ans.

La mode des coiffures romaines devait nécessairement rentrer en France avec la République ; mais l’armée garda la poudre et les cadenettes, ce qui nous avait déjà donné les victoires de Jemmapes, de Valmy et de Fleurus. Les soldats d’Arcole, de Lodi, de Marengo, des Pyramides, d’Héliopolis, auraient pu aisément raser leurs têtes et remporter les victoires de ces noms, sans cadenettes et sans poudre blanche ; mais ils avaient à cœur de conserver cette mode de leur jeune âge, malgré ses désagréments dans les pays chauds. L’amidon des cadenettes se fondait au simoun de Thèbes, de Ptolémaïs et du Thabor ; mais on se poudrait encore au bivouac du lendemain, en présence de ces graves sphinx éternellement blanchis, sur leurs longues bandelettes, par la poudre du désert. Au camp de Boulogne, Junot s’insurgea le premier contre la coiffure du cardinal Fleury, et un décret impérial ne tarda pas à la modifier. En Russie on la regretta beaucoup. M. de Narbonne, sous les sapins de la Bérésina, se poudrait encore, malgré le décret impérial et