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Page:Gazon-Dourxigne - Ariane a Thesee, heroide nouvelle, 1762.djvu/10

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Et dans l’affreux déſert où tu me fais languir,
Je n’aurois pas du moins mille morts à ſouffrir.
Depuis que dans ces lieux tu m’as abandonnée ;
Théſée, au moindre bruit, mon ame conſternée,
Croit voir de toutes parts, à ma perte animés,
Des Tigres, des Lions & des Loups affamés :
Des monſtres de la mer j’y crains auſſi la rage,
Ou de quelque brigand le téméraire outrage ;
Et que, pour achever de combler mes revers,
Une inſolente main ne me charge de fers.
Le Ciel qui juſqu’ici perſécuta ma vie,
M’auroit-il réſervée à cette ignominie ?
Moi ! je pourrois ſervir ! moi, fille de Minos,
Moi qui naquis du ſang des Dieux & des Héros,
Et qui m’étois flattée enfin que l’Hymenée
Pour jamais à ton ſort joindroit ma deſtinée !
Dieux ! privez-moi plutôt de la clarté du jour.
Hélas ! plus mes regards obſervent ce ſéjour,
Plus j’y vois de dangers qui me livrent la guerre ;
J’y redoute ſans ceſſe & la mer & la terre :
Tout ce qui m’environne augmente mon effroi ;
Et j’y crains juſqu’aux Cieux irrités contre moi.
Mais que dis-je ? cette Iſle eſt peut être habitée :
Ah ! je n’en ſuis encor que plus épouvantée.
Si ces lieux abhorrés cachent quelques mortels,
Ce ſont des Étrangers farouches & cruels :
Oſerois-je vers eux porter mes pas timides ?
Non, je ſçais trop combien les hommes ſont perfides.
Falloit-il, pour venger mon frere maſſacré,
Qu’une loi rigoureuſe à la mort t’eût livré ?