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Page:Gazon-Dourxigne - Ariane a Thesee, heroide nouvelle, 1762.djvu/12

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Pour toi, tu reverras Athène ; & ton courage
De mille adulateurs y recevra l’hommage :
Tu leur diras comment ton bras victorieux
Fit tomber ſous ſes coups un monſtre furieux ;
Et par quel art tu ſçus, prodiguant les miracles,
Du labyrinthe obscur franchir tous les obſtacles :
Mais vante-toi ſur-tout, à leurs yeux ſatisfaits,
D’avoir cauſé ma mort pour prix de mes bienfaits.
Ce merveilleux exploit vaut bien que tu t’en flattes :
La trahiſon doit plaire à des ames ingrates ;
Et tu vas bientôt voir de ſi beaux ſentimens
Multiplier pour toi leurs applaudiſſemens.
Non, d’Égée & d’Ethra tu n’as point reçu l’être ;
Un ſang ſi glorieux n’eût pas produit un traitre ;
Et la mer infidelle a pu ſeule enfanter
Un monſtre tel que toi né pour me tourmenter.
Que n’as-tu pu, Barbare, hélas ! de ton navire,
Être témoin des maux dont mon ame ſoupire ?
Ce ſpectacle, ſans doute, eût fléchi ta rigueur,
Et la compaſſion eût désarmé ton cœur.
Mais ſi ce n’eſt des yeux, vois du moins en idée
Les éternels ennuis dont je ſuis obſédée ;
Vois Ariane en pleurs, qui l’œil triſte, abattu,
Languit ſur un rocher par les vagues battu :
Vois tous ces ornemens qui relevoient mes charmes
Et mon voile flottant, arroſés de mes larmes.
Mon cœur cede aux tourmens dont il eſt accablé ;
Semblable à ces moiſſons, qu’en un champ déſolé,
Courbe d’un vent fougueux l’impétueuſe haleine,