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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/135

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bles progrès ; on venoit m’entendre comme une merveille, tout le monde voulut apprendre à jouer de la harpe ; Gaiffre en étoit le seul maître, il ne pouvoit suffire à ses écolières. J’eus le plaisir extrême d’être la cause de la fortune de cet excellent homme, qui en étoit reconnoissant comme si je n’eusse joué de la harpe que dans ce dessein. Ma passion et mon ardeur pour cet instrument croissoient avec mes succès. Sur la fin de l’hiver, je me mis à jouer au moins sept heures par jour, très-souvent huit ou neuf, et quelque fois dix ou douze. Cette rage d’étude dura plus d’un an ; au bout de ce temps, en jouant depuis dix-huit mois, sans compter mes petites études de Passy, j’étois réellement de la première force, et d’une force tout-à-fait inconnue jusqu’alors sur cet instrument.

Mon père, qui étoit resté en Bourgogne, revint pour peu de temps, et partit pour Saint-Domingue, où il espéroit rétablir sa fortune. Ce grand voyage m’affligea sensiblement ; je ne trouvai de consolation que dans ma harpe ; j’avois quatorze ans et demi. Je fis dans ce temps une étrange conquête, celle du baron de Zurlauben, colonel des Suisses ; il avoit quatre-vingts ans, il prit pour moi une si ex-