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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/237

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genre. Il avoit en littérature un goût très-pur ; il a beaucoup contribué à former le mien, en

    sert beaucoup pour le piano. J’avois à Berlin, il y a vingt-cinq ans, une amie charmante, âgée de ving-thuit ans et aveugle depuis quatorze ; elle étoit néanmoins très-bonne musicienne ; elle chantoit d’une manière ravissante, et elle jouoit très-agréablement du piano ; elle me conjura de lui apprendre à s’accompagner de la harpe, et je m’occupai à chercher les moyens de lui abréger l’ennui des premières études, si pénibles surtout dans son état. J’inventai et je fis faire pour elle un petit instrument muet, un peu plus long que le doigt et seulement assez large pour contenir trois cordes à boyau de moyenne grosseur, bien tendues et placées à la distance observée sur la harpe. Une petite bande d’écarlate posée sur ces cordes, en ôte absolument toute espèce de son. Une des grandes difficultés de la harpe est de bien faire les cadences, c’est-à-dire, non du bras, comme font certains professeurs, mais uniquement des doigts et en tenant le bras immobile ; car ce n’est qu’ainsi qu’on peut les faire liées et brillantes. J’invitai mon amie à commencer par faire des cadences de tous les doigts et des deux mains sur le petit instrument, ce qu’elle fit avec une ardeur incroyable. Elle portoit toujours avec elle cet extrait de harpe, qui dans son sac tenoit moins de place qu’un éventail ; elle en jouoit durant les visites et souvent sans qu’on s’en apercut, en le cachant sous son schall. Au bout de quinze jours, ses doigts étoient parfaitement déliés et disposés