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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/279

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Rosière de Salency[1], j’en parlai avec enthousiasme à M. de Morfontaine, et il fut décidé

  1. La manière dont j’ai appris l’existence des rosières de Salency fut assez plaisante. J’avois dix-huit ans, Salency est à quatre lieues de la terre que j’habitois depuis deux ans, et j’ignorois jusqu’au nom de ce village, devenu si fameux depuis. Nous jouions la comédie. L’un de nos acteurs principaux, nommé M. Matigny, étoit en même temps magistrat de Channy et bailli de Salency. Un jour que nous voulions le retenir à coucher pour faire une répétition le lendemain, il nous dit qu’il étoit obligé d’aller dans un village voisin. « Et pourquoi ? lui demandai-je. — Oh ! répondit-il, pour cette bêtise qu’ils font tous les ans. — Quelle bêtise ? — Il faut que j’aille là en qualité de juge, pour entendre pendant quarante-huit heures tous les verbiages et tous les commérages imaginables. — Et sur quel sujet ? — Une vraie bêtise, comme je vous le disois : il s’agit d’adjuger, non pas une maison, ou un pré ou un héritage, mais une rose… » En disant ces paroles, le bailli se mit à rire de pitié, persuadé que je partageois le mépris que lui inspiroit une coutume si ridicule à ses yeux mais ce seul mot, une rose, me faisoit présumer qu’il s’agissoit de quelque chose d’intéressant. « Comment ? repris-je, une rose ! vous devez donner une rose ? — Eh ! mon Dieu, oui ! c’est moi qui dois décider cette grave affaire. C’est une vieille coutume établie là, dans les temps barbares : il est étonnant que dans un siècle aussi éclairé que le nôtre, on n’ait pas aboli une puéri-