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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/280

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que nous irions à Salency couronner la rosière. Je donnai à la rosière un habit et une vache,

    lité qui me fait faire tous les étés dix ou douze lieues dans des chemins de traverse abominables, car il faut que pour cette niaiserie je fasse deux voyages… — Le don d’une rose ne me paroît pas trop barbare : mais à qui done offrez-vous cette rose ? — À une paysanne réputée la plus sage et la plus soumise à ses parens… — Et l’on s’assemble pour lui donner publiquement une rose ? — N’est-ce pas là une belle récompense pour une pauvre créature qui manque souvent de pain ? — Et quand la cérémonie aura-t-elle lieu ? — J’y vais demain pour entendre les dépositions, recueillir les suffrages et proclamer la rosière ; et j’y retournerai dans un mois pour ce qu’ils appellent le couronnement. — Oh ! certainement je m’y trouverai. — On peut voir cela une fois pour se divertir, cela vous fera rire. Ce qu’il y a de plus drôle, c’est l’importance que ces bonnes gens mettent à cette cérémonie, et la morgue et la joie des parens de la rosière ce jour-là. On croiroit qu’ils ont gagné le gros lot. Cela vous amusera un moment ; mais quand il faut revoir cela tous les ans, c’est une chose fastidieuse pour un homme raisonnable. » Cette explication n’étoit pas romanesque, cependant elle ne m’en inspira pas moins le désir le plus ardent de voir couronner la rosière de Salency. Quelques jours après, M. Lepelletier de Morfontaine, intendant de la province, vint nous voir. Il avoit l’âme noble et bienfaisante, je lui parlai de la rosière, et il fut décidé que nous irions présider à son couronnement.

    (Souvenirs de Félicie.)