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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/36

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raire n’étoit pas dénuée de tout intérêt, et qu’il seroit assez curieux d’y voir comment une personne qui a tant aimé la solitude, la paix et les beaux-arts, et dont le caractère étoit naturellement doux, timide et réservé, a pu se résoudre à faire tant de bruit, à se mettre si souvent en scène et à s’engager dans des guerres interminables.

Si je sentois au fond de mon cœur le moindre ressentiment, la plus légère rancune contre les gens dont je veux parler, je renoncerois à cet ouvrage, dans la crainte qu’il ne s’y glissât, malgré moi, quelque trait amer ou malin ; je puis protester, avec une scrupuleuse vérité, qu’il n’existe pas dans mon âme un seul mouvement de malveillance contre qui que ce soit, et que, dans tous les instans de ma vie, je n’eusse jamais refusé de rendre un service, même secret, au plus ardent de mes ennemis, si j’en eusse eu le pouvoir. À soixante-six ans passés, quand on a beaucoup souffert, quand on est usé par un long travail, on voit de si près la nuit inévitable et prochaine du tombeau, qu’il ne faut pas un grand effort d’imagination pour se croire déjà enveloppé de ses ombres !… Là, toutes les illusions humaines ont disparu,