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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/373

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secret n’a été mieux gardé. Le duc de Civrac, âgé d’environ quarante-sept ans, avoit une belle figure, des manières nobles et douces, et une bonhomie qui gagnoit tous les cœurs. Il nous déclara qu’il mouroit de faim ; ma belle-sœur et moi nous nous chargeâmes de le nourrir ; et nous n’imaginâmes rien de mieux que de lui porter des prunes de reine-claude, des confitures et du sirop d’orgeat. Il mit un genou en terre pour recevoir de nos mains ce déjeuner ; ensuite il nous avoua qu’il avoit la grossièreté de désirer en outre de la viande et du vin, il fallut bien le servir suivant son goût. Il me prévint qu’il manquoit absolument de mémoire, et il me conjura de lui donner un rôle bien court. Je lui promis qu’il ne diroit qu’une seule phrase, et voici comment je décidai de le faire paroître.

Ma femme de chambre, mademoiselle Victoire, avoit une jolie voix ; elle avoit tout au plus trente ans, elle étoit fort grasse et très-fraiche ; je la faisois arriver dans ma pièce sous le nom de madame Milot, concierge de l’hôtel de Sillery, à Paris. M. de Puisieux avoit eu dès sa jeunesse la passion des beaux chevaux ; je savois, par madame de Puisieux,