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Page:Genlis — Mémoires inédits, (ed. Ladvocat), T1.djvu/38

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Je naquis le vingt-cinq janvier de l’année mil sept cent quarante-six, dans une petite terre en Bourgogne, près d’Autun, et qu’on appelle Champcéri, par corruption, dit-on, de Champ de Cérès, nom primitif de cette terre. Je vins au monde si petite et si foible, qu’il ne fut pas possible de m’emmailloter ; et peu d’instans après ma naissance, je fus au moment de perdre la vie. On m’avoit mise dans un oreiller de plumes dont, pour me tenir chaud, on avoit attaché avec une épingle les deux côtés repliés sur moi on me posa, arrangée ainsi, dans le salon sur un fauteuil. Le bailli du lieu, qui étoit presqu’aveugle, vint pour faire son compliment à mon père ; et comme, suivant l’usage de province, il écartoit avec soin les grands pans de son habit pour s’asseoir, on s’aperçut qu’il alloit s’établir sur le fauteuil où j’étois ; on se jeta sur lui pour le faire changer de place ; et l’on m’empêcha ainsi d’être écrasée. On me donna une nourrice qui me nourrit au château ; cette nourrice cacha qu’elle étoit grosse de quatre mois ; mais elle me nourrit avec du vin mêlé d’eau et d’un peu de mie de pain de seigle, passée dans un tamis, sans me donner jamais une seule goutte d’aucun lait.