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Page:George Eliot Adam Bede Tome 2 1861.djvu/14

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adam bede.

sont passées ; le temps si doux de la première croissance et des espérances vagues n’est plus, et cependant celui de la moisson et de la rentrée du grain n’est pas venu. Nous tremblons à la possibilité des orages qui pourraient perdre ce précieux fruit au moment de sa maturité. Les bois sont d’un vert uniforme, sombre et monotone ; les pesants chars de foin ne cheminent plus le long des sentiers, dispersant leurs lambeaux au doux parfum sur les branches des mûres sauvages ; les prairies sont souvent un peu jaunies, et pourtant les blés n’ont pas encore acquis leur splendeur dernière rouge et or ; les agneaux et les veaux ont perdu toute trace de leur gentillesse innocente et vive, et sont devenus de stupides jeunes brebis et de patientes génisses. C’est un temps de repos dans les fermes, — un temps d’arrêt entre les fenaisons et les moissons ; aussi les fermiers et laboureurs d’Hayslope et de Broxton trouvèrent-ils que le capitaine faisait bien d’arriver à sa majorité justement alors, quand ils pouvaient donner sans partage leur attention à la saveur de la grande tonne de bière qui avait été brassée l’année après la naissance de l’héritier, et que l’on devait mettre en perce à son vingt et unième anniversaire. Les cloches avaient sonné gaiement dès le grand matin de ce jour, et chacun s’était dépêché de terminer l’ouvrage nécessaire avant midi, heure où il serait temps d’aller au Château.

Le soleil tombait à flots dans la chambre d’Hetty, et il n’y avait point de volets pour tempérer la force avec laquelle il frappait sur sa tête, tandis qu’elle se regardait dans le vieux miroir taché. C’était pourtant le seul miroir où elle pût voir en entier son buste et ses bras, car la petite glace suspendue qu’elle avait prise dans la chambre voisine, — celle qu’avait occupée Dinah, — ne lui laissait pas voir plus bas que son menton et la belle partie du cou arrondi où le moelleux des joues venait se fondre dans l’ombre délicate de légères boucles foncées. En ce jour elle