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ESCAL-VIGOR

élève et le faisait appeler s’il tardait à venir. On ne les voyait jamais l’un sans l’autre. Ils étaient devenus inséparables. Guidon dînait généralement à l’Escal-Vigor, de sorte qu’il ne rentrait guère aux Pèlerins que pour se coucher. À mesure que Guidon se perfectionnait, s’épanouissait en dons exceptionnels, l’affection intense de Kehlmark pour son élève devenait exclusive, même ombrageuse et presque égoïste. Henry s’était réservé le privilège d’être seul à former ce caractère, à jouir de cette admirable nature qui serait sa plus belle œuvre, à respirer cette âme délicieuse. Il la cultivait jalousement, comme ces horticulteurs effrénés qui eussent tué l’indiscret ou le concurrent assez téméraire pour s’introduire dans leur jardin. Ce fut entre eux une intimité suave. Ils se suffisaient l’un à l’autre. Guidon, émerveillé, ne rêvait aucun paradis autre que l’Escal-Vigor. La gloire, le souci d’être applaudi, n’intervenait en rien dans leur activité d’artistes absolus.

Puis Kehlmark avait vu d’assez près la vie sociale et de surface des soi-disant artistes. Il savait la vanité des réputations, la prostitution de la gloire, l’iniquité du succès, les immondices de la critique, les compétitions entre rivaux plus féro-