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ESCAL-VIGOR

avait des jours où il se montrait très empressé auprès d’elle ; d’autres jours, il la couvait de regards singuliers ou semblait l’éviter et même la fuir.

Trois ans se sont écoulés. On est au mois de mai, aux approches de la nuit. La douairière de Kehlmark dîne seule chez sa vieille amie, Mme de Gasterlé, comme elle y est accoutumée tous les mois. Blandine ira la reprendre chez cette dame au coup de dix heures. Henry s’est retiré dans sa chambre où il travaille, — où plutôt il prétend travailler, car le moment et la saison incitent aux imaginations, aux curiosités, aux énervements.

Par la fenêtre ouverte, le jeune comte entend les accordéons et les orgues d’un faubourg ouvrier dont le séparent quelques hectares de jardins de plaisance, distribués entre la villa de la douairière et celles des voisins, et séparés par des haies vives. Depuis plusieurs soirs, les bouffées dolentes des cuivres fignolant le couvre-feu dans une caserne d’artillerie, située là-bas aux confins du faubourg, parviennent à Kehlmark avec les fanfares des lilas qui agitent leurs thyrses jusque sous sa fenêtre.

On bâtit aussi dans le voisinage ; le gros œuvre sera demain sous toit, et, tout le jour, le jeune