Page:Gex - Vieilles gens et vieilles choses (1885).pdf/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 114 —

infaillible de gagner des âmes à la bonne cause.

Avec une profondeur de vues toute cléricale, il se livrait à l’élevage et à l’éducation de toutes sortes de petites bêtes savantes destinées à être offertes à sa clientèle spirituelle.

Connaissant le dessus du panier de la gent dévote, il était à même, en étudiant les besoins et les caprices de ces cœurs desséchés par l’égoïsme, l’isolement ou la souffrance, de procurer à chacun une distraction, une occupation, un attachement propres à combattre l’ennui, ce mortel ennemi des classes riches et désœuvrées. Donc, l’abbé Ruinart s’était fait une éternelle amie de la baronne de Rouxy, en lui faisant cadeau de Caraby élevé expressément pour elle. Et le zélé pêcheur d’âmes n’avait garde de ne point mettre à profit l’influence acquise sur cette créature isolée, affaiblie, vivant d’une vie exceptionnelle et se nourrissant des chimériques souvenirs d’un passé évanoui.

Sans avoir l’air d’y toucher, avec un tact infini, une réserve obséquieuse, il tirait de beaux écus de la grande bourse en filoche bleue où la demoiselle serrait ses économies. Tantôt l’évêque in partibus de Socotora réclamait des missionnaires, tantôt les religieuses des Cinq Plaies désiraient agrandir leur couvent ou les Pères du Saint-Suaire demandaient un subside, enfin l’argent s’éparpillait aux quatre vents pour la plus grande gloire de Dieu et le profit de l’Église.

Tout était donc pour le mieux ; Caraby pouvait