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J’aimais à voir ce va-et-vient, à entendre ce vacarme dès les premières heures de mon réveil ; la rue était toute égayée par les rayons roses du soleil levant ; les boutiques ouvertes laissaient voir les marchands affairés faisant la toilette du comptoir, disposant les étoffes, époussetant les livres, accrochant à la montre les mille brimborions destinés à tenter l’acheteur. On saluait de loin un confrère, on disait un bonjour pressé aux ménagères diligentes allant faire la provision du jour. L’ouvrier matinal, l’outil sur l’épaule et le panier au bras, partait pour le chantier ; les vieilles clopinaient en savates jusqu’au porte-pot de l’angle chercher leur porre goutte, et les enfants, à moitié endormis encore, s’en allaient, tirant du pied, à l’école ou au collége ; pendant que du haut en bas des façades grises, les croisées s’ouvraient pour renouveler l’air des appartements époussetés et cirés, ici par les bonnes, là par les valets à gilets rouges des grandes maisons.

Ah ! que de choses disparues, que de gens oubliés, j’ai vu passer de la fenêtre de cette chambre bleue où couchait grand’mère ! J’ai vu pendant des années cahoter sur le pavé pointu la vinaigrette du commandant R***, celui-là dont le bras gauche était resté sur l’un des champs de bataille de l’empire. Vous souvenez-vous de la vinaigrette, cette fille bâtarde des litières de l’autre siècle ? Vous souvenez-vous d’avoir vu le soir nos places sillonnées par ces longues boîtes noires à roulettes,