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Une de ces sottes et méchantes plaisanteries qui ne manquait jamais son effet s’adressait à une dame qui demeurait au quatrième étage chez M. Guichet. Son appartement, assez grand en apparence, n’avait aucune fenêtre donnant sur la rue, et celles que l’on pouvait apercevoir de mon observatoire étaient garnies de barreaux solides et rapprochés.

Toutes les fois que, pour les besoins de la boulangerie, les garçons de Minot passaient dans la cour, ils criaient à pleins poumons « Mame Gaud… au… au ! Mame Gaud… au… au ! » Il était rare qu’au bruit de ces voix on ne vit pas surgir à travers les treillis de fer une figure de vieille femme qui, les yeux égarés, la bouche contractée, cherchait à découvrir d’où lui venaient ces appels. C’était peine perdue ; les mauvais drôles, contents de l’effet produit s’enfuyaient en riant à gorge déployée, faisant entendre encore dans le lointain ce nom torturant la pauvre créature : « Mame Gaud… au… au !… »

La vieille murmurait un instant, puis refermait la fenêtre pour la rouvrir encore à chaque nouvelle attaque de ses persécuteurs.

Cette femme était folle, du moins on le disait autour de nous. Elle ne logeait dans la maison Guichet que depuis quatre ou cinq ans. Personne ne la fréquentait, jamais on ne la voyait au dehors ; ses voisins du cinquième n’en savaient pas plus sur elle que ceux du premier ; on disait qu’elle était folle, et voilà tout. Une servante borgne, et ratatinée pre-