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sait comme effarouchée par la présence d’une personne que l’on ne voyait pas du dehors.

Je m’étais informée auprès de grand’mère et de Josette de ce que pouvait bien être cette petite qui ne sortait jamais. Bonne-maman m’avait répondu qu’elle l’ignorait comme moi ; mais ma bonne, qui gardait une dent aux vieilles du quatrième, m’assura que « c’était un pauvre ange que ces deux folles tenaient enfermé pour le faire mourir et s’en débarrasser ainsi. » Je ne pouvais supporter cette idée, et bien des fois j’avais eu la tentation d’interpeller la petite inconnue lorsqu’elle se montrait furtivement à moi, pour savoir s’il était vrai qu’on la retînt prisonnière et qu’on voulût la faire mourir ; mais ses apparitions étaient si rares que je n’avais pu mettre encore mon projet à exécution.

Un jeudi du mois de juin, je crois, j’étais dans la chambre de l’allée, si occupée à barbouiller de couleurs des gravures que j’avais reçues en cadeau peu de temps auparavant, que j’en oubliais de manger les belles cerises de mon goûter. Cependant, mon ouvrage avançait, et désirant juger de l’effet de mes enluminures, je me levai en me rapprochant du jour. Par hasard, mes regards se dirigèrent vers le haut de la maison Guichet ; je demeurai un instant interdite. Montée sur le rebord d’une croisée, s’accrochant de ses deux mains aux gros barreaux de fer, la petite prisonnière me regardait curieusement… La distance qui nous sé-