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étions là, toutes les trois très-occupées à tailler des ronds de poires pour les faire cuire dans des plats minuscules, lorsque nous entendimes de la cour monter l’appel bien connu : « Mame Gaud… au… au… » Un cri pareil à un sanglot répondit de l’intérieur du salon ; puis soudain la porte s’ouvrit, et nous vimes passer devant nous la folle, pâle et bouleversée, qui murmurait des mots sans suite :

— Ils m’appellent… Je vous dis qu’ils m’appellent je veux les voir ! Emmanuel ! Je veux les voir !

Grand’mère, fort embarrassée, s’était levée, et parlait bas à Marguerite. Celle-ci, triste mais tranquille, tâchait de la rassurer lui disant que ce ne serait rien ; que pourtant ces scènes sans cesse renouvelées épuisaient les forces de la malheureuse créature.

— Mais, demanda bonne-maman, par qui croit-elle être appelée ainsi, et quel est ce nom d’Emmanuel qu’elle prononce ?

La bonne, baissant la voix, répondit :

— Madame, elle pense à ceux qui sont morts, elle les voit et les entend partout. Emmanuel, c’était le nom du jeune Monsieur, le mari de sa fille, Madame Régine…

Et par conséquent la mère de la petite Nancy, continua grand’mère.

— Oui, Madame, souffla brièvement la borgnesse entendant le pas lourd et traînant de Madame Gaud qui revenait vers nous.