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Ce soir-là on décrochait, pour la première fois, de la longue perche où séchait la provision de salé du ménage, les saucisses et les andouilles, plat d’honneur du réveillon, et le chef de famille allait remplir à la feuillette du coin le premier tarat de vin bourru qui devait arroser les friandises du repas.

Mais ce qui donnait à la fête un caractère étrange et tout particulier, c’était la course nocturne que faisaient les villageois pour se rendre aux offices de la paroisse.

Dès que les premières volées de la cloche annonçaient l’heure de la messe, toute la population valide se réunissait au milieu du village. Les femmes portant d’énormes falots ou des lanternes borgnes, les hommes secouant de longues torches (Brandiôs) de paille tressée ou d’étoupe serrées et enduites de poix-résine, se mettaient en marche, chantant un Noël ancien ou quelque complainte de circonstance.

Rien n’était plus saisissant que l’aspect lointain de ces bandes de montagnards descendant les côtes raides et glacées des collines. La flamme vacillante des torches, tourmentée par la bise d’hiver, faisait étinceler, un instant, sur leur passage, les branches des arbres engivrés ou semait d’éclairs furtifs chaque brindille des buissons chargés de neige. Obligée de suivre les mille détours de chemins tracés à l’aventure, l’interminable file lumineuse, tantôt côtoyant les talus d’un ravin boisé, tantôt s’enfonçant dans une combe au fond de