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temps pour conduire son troupeau de chèvres le long des pentes herbeuses des montagnes d’Arbarétan, de Combe-Noire, du Remord et du Grand-Charnier, jusqu’aux cimes neigeuses de Beauvoir.

Durant six mois de l’année, les fromagers des aberts (chalets), et les pâstres errants voyaient passer et repasser d’un ravin à l’autre le farouche chevrier, escaladant les rocs, sautant par-dessus les crases (crevasses), s’accrochant, ici à une touffe d’herbes, là aux branches pendantes, des sapins rabougris, toujours alerte et vigoureux, malgré l’âge et les fatigues d’une pareille vie.

Parfois, dans les jours de pluie ou d’orage, Gaspard s’abritait lui et ses chèvres dans une masure qu’il s’était construite au milieu d’un champ d’embrunes (myrtilles), auquel il devait le sobriquet que les gens de l’endroit lui avaient donné.

Ah ! on en contait de belles sur lui dans les veillées ! Bien qu’à proprement parler, ce vieux ne passât point pour sorcier dans la mauvaise acception du mot, il était positif qu’il en savait… En savoir, aux yeux des villageois de nos jours comme pour ceux du passé, c’est posséder une science et un pouvoir surnaturels sur les gens et sur les choses.

Au dire des mieux informés, le vieux chevrier avait à son actif autant de prodiges que les saints les plus prisés du paradis… Il voyait courir, disait-on, les sources dans la terre ; il tenait con-