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versation avec les bêtes comme avec des amis ; d’un coup de sifflet il arrêtait un aigle au vol, rassemblait les chamois effarouchés par les chasseurs et les faisait danser en rond au clair de la lune en compagnie de ses huit chèvres et de ses deux boucs. Puis on l’avait vu, cela était certain, chasser d’un geste les nuages de grêle prêts à éclater sur sa tête, et Romain Tissot, le gardeur de vaches des aberts du Bocquart, assurait l’avoir entendu parler à un ours comme un notaire parlerait à son collègue.

Ces choses amplifiées à plaisir avaient porté la réputation de Gaspard à un tel degré, que l’on n’hésitait pas à faire cinq ou six heures de chemin pour le consulter ou le prier de visiter un malade ou un ensorcelé.

Lui se prêtait volontiers à jouer le rôle de miège (médecin) ou de voyant vis-à-vis des montagnards crédules. Ceux-ci, d’ailleurs, n’avaient guère d’autre secours que le sien à implorer et à attendre, en ce temps où les médecins étaient rares, même dans les villes. Cependant, le chevrier ne tirait point gros profit de son savoir magique : quelques gourdes d’eau-de vie ; de temps à autre, une pièce de monnaie qu’il ne réclamait jamais si on oubliait de la lui offrir ; voilà bien tout ce qu’il retirait de sa clientèle. En ajoutant à cela le droit de parcourir à sa guise les pâturages du pays, usant par-ci, par-là du bien d’autrui, le vieux Gaspard se regardait comme largement payé de ses services et de sa peine.