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toute l’herbe sèche avait été mangée, quand les ronces n’eurent plus de feuilles, les broussailles de pousses tendres à ronger, Bernard s’était défait de la chèvre blanche. Les deux écus qu’il en avait tirés durèrent un peu de temps, puis il n’y eut plus rien, plus rien dans la baraque de Bois-Plan.

La Clinon, hargneuse et méchante, accablait de reproches son mari. Pour la Maurise, elle n’eût point osé l’attaquer en face, elle savait trop que la jeune fille saurait se défendre à l’occasion. Mais Bernard… c’était autre chose !

Depuis près de trente ans qu’elle le tourmentait de querelles journalières, le pauvre homme n’avait jamais eu l’idée de lui clore la bouche d’un soufflet ou d’une taloche. Ah ! Bernard… il était à elle, c’était son homme, son souffre-douleur et son gagne-pain ; elle pouvait donc, la mégère, l’accabler d’insultes et de malédictions ! Et, certes, il n’en chômait pas.

Ah ! s’il n’avait pas été toute sa vie un lâche, un pousse-mou, un gaga, est-ce qu’il n’aurait pas forcé sa fille à se mettre au pain !… Pourquoi n’avait-elle pas pris Jacquot des Voiron ?… Parce qu’il était borgne ? La belle raison ! Ça l’empêchait-il de faucher son andain aussi droit que les autres ? Et le vieux Grisard de Saint-Baldoph, il n’était peut-être pas assez bon pour son lève-nez de fille qui n’avait que les ongles et les dents ?… Et c’était ainsi, des journées entières, une avalanche d’injures que le placide Bernard se gardait bien d’arrêter.