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J’avais des instincts d’oiseau voyageur : je voulais pour un temps quitter mon nid, afin de connaître où conduisaient ces chemins sur lesquels passaient rapides et tapageuses les lourdes chaises de poste trainées par des chevaux robustes et conduites par des postillons pimpants et alertes comme ces belles marionnettes que j’avais vues danser sur des fils de soie, ces routes où cheminaient lentement, jour et nuit, cette interminable file de carrioles escortées de rouliers ivres ou chantant quelques refrains d’un pays que je ne connaissais point.

Ce besoin inné de mouvement et de liberté tourmentait fort cette chère grand’mère qui m’adorait. À chaque instant je lui échappais, et notre vieille Josette employait, certes, plus d’heures à ma recherche qu’elle n’en passait à son potager. Pourtant, grâce aux prescriptions d’un médecin pessimiste à qui je vote ici de tardifs, mais très-sincères remerciments, je jouissais d’un droit presque illimité de vagabondage, et, sauf à l’heure des repas et les jours de pluie battante, on me trouvait rarement à la maison.

De temps en temps, la pauvre femme, saisie d’un remords passager à propos des leçons que je n’étudiais pas, et des pages que j’oubliais d’écrire, se prenait à être sévère ; mais je devenais si pâle en face d’un livre de lecture, j’avais de telles inquiétudes nerveuses en traçant les barres ou les déliés d’un modèle de calligraphie, que toutes ses belles résolutions s’évanouissaient subitement, et