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et se tint majestueusement coi, comme un juge à l’audience.

Il y avait déjà longtemps que je ruminais en moi-même de quelle façon je pourrais lier conversation avec cette fillette pour laquelle je me sentais pleine de bons sentiments.

Je n’étais pas précisément timide dans les grandes occasions ; aussi après avoir fait mon petit thème, prenant délibérément mon parti, je lui lançai hardiment cette question :

« Dis, petite, comment t’appelles-tu ? »

Certainement mes camarades ne s’attendaient point à tant d’audace, car tous levèrent le nez avec effroi, persuadés que j’allais être punie de mon indiscrétion. Mais la jolie enfant, au lieu de se courroucer, jugeant sans doute sur ma mine de mes bonnes intentions à son égard, me sourit amicalement et répondit, à notre stupéfaction, dans un français arrangé à sa façon :

« Z’ai moi le nom Sta. »

Soit que ce nom leur parut insolite, soit que l’accent étranger de la Bohémienne les eût mis en gaité, un éclat de rire intempestif de mes compagnons couvrit sa voix câline, et accueillit sa réponse. Elle rougit, et nous fit la moue. Pour mon compte, je n’avais point ri ; je démontrai même très vivement aux insolents mon indignation de leur mauvais procédé.

Nous n’avions pas l’habitude de prendre des gants pour nous exprimer notre façon de penser.