Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 12.djvu/49

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par les motifs de l’avantage général ou ceux de l’intérêt personnel ; par l’honneur de replacer un souverain sur son trône, ou par l’opinion assez raisonnable que tous les efforts des croisés pour délivrer la Palestine seraient impuissans, à moins que l’acquisition de Constantinople ne précédât et ne facilitât la conquête de Jérusalem. Mais ils commandaient une troupe de guerriers libres et de volontaires, quelquefois leurs égaux, qui raisonnaient et agissaient d’après eux-mêmes ; quoiqu’une forte majorité acceptât l’alliance, le nombre et les argumens de ceux qui la rejetaient étaient dignes de considération[1]. Les cœurs les plus intrépides se troublaient au tableau qui leur était fait des forces navales de Constantinople et de ses fortifications inaccessibles. Ils déguisaient en public leurs craintes, et se les dissimulaient peut-être à eux-mêmes par des objections plus honorables de devoir et de religion. Les dissidens alléguaient la sainteté du vœu qui les avait éloignés de leur famille et de leur maison pour courir à la délivrance du Saint-Sépulcre, et ne pensaient pas que les motifs obscurs et incertains de la politique dussent les détourner d’une sainte entreprise dont l’événement était entre les mains de la Providence. Les censures du pape et les reproches de leur conscience avaient assez sévèrement puni l’attaque de Zara,

  1. Villehardouin et Gunther expliquent les sentimens des deux partis. L’abbé Martin quitta l’armée à Zara, passa dans la Palestine, fut envoyé comme ambassadeur à Constantinople, et devint malgré lui le témoin du second siége.