Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 13.djvu/108

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guerriers. Mais cette laborieuse défense ne tarda pas à épuiser leurs forces et leurs munitions : le fossé se remplit de cadavres qui servirent de pont à leurs camarades, et la mort de ces enfans perdus fut plus utile que ne l’avait été leur vie. Les soldats de l’Anatolie et de la Romanie, conduits par leurs pachas et leurs sangiaks, chargèrent les uns après les autres ; leurs succès furent divers et douteux ; l’assaut durait depuis deux heures, les Grecs avaient et gagnaient encore de l’avantage ; on entendit la voix de l’empereur, qui excitait ses soldats à achever, par un dernier effort, la délivrance de leur pays. Dans ce fatal moment, les janissaires s’ébranlèrent frais, vigoureux et invincibles. Le sultan, à cheval et une massue à la main, était le témoin et le juge de leur valeur ; il avait autour de lui dix mille hommes de ses troupes domestique, qu’il réservait pour les momens décisifs, et de la voix et de l’œil il dirigeait et pressait les flots des combattans. On voyait derrière la ligne la nombreuse troupe des ministres de sa justice qui poussaient, qui contenaient, qui punissaient les guerriers ; si le danger était devant, la honte et une mort inévitable se trouvaient derrière ceux qui songeaient à prendre la fuite. La musique guerrière des tambours, des trompettes et des timbales, étouffait les cris de l’effroi et de la douleur, et l’expérience a prouvé que l’opération mécanique des sons, en donnant plus de vivacité à la circulation du sang et des esprits, produit sur la machine humaine plus d’effet que l’éloquence de la raison et de l’honneur.