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employés à l’usage des hommes. Lorsque les musulmans eurent dépouillé les saintes images de ce qu’elles pouvaient offrir de précieux à des regards profanes, la toile ou le bois des tableaux ou des statues furent déchirés, brisés, brûlés, foulés aux pieds ou employés, dans les écuries et dans les cuisines, aux usages les plus vils. Au reste, les Latins qui s’étaient emparés de Constantinople s’étaient permis les mêmes sacriléges ; et le zélé musulman pouvait bien faire éprouver aux monumens de l’idolâtrie le traitement qu’avaient souffert de la part des coupables catholiques le Christ, la Vierge et les saints. Un philosophe, au lieu de se joindre à la clameur publique, pourra observer qu’au déclin des arts, le travail n’avait probablement pas plus de valeur que le sujet de l’ouvrage, et que la supercherie des prêtres et la crédulité du peuple ne tardèrent pas à rouvrir d’autres sources de visions et de miracles. Il regrettera plus sérieusement la perte des bibliothéques de Byzance, qui furent anéanties ou dispersées au milieu de la confusion générale. On dit que cent vingt mille manuscrits furent alors perdus[1], qu’avec un ducat on achetait dix volumes, et que ce prix, trop considérable peut-être pour une tablette de livres de théologie, était le même pour les Œuvres complètes d’Aristote et d’Homère, c’est-à-dire des

  1. Voyez Ducas (c. 43) et une lettre du 15 juillet 1453, écrite par Laurus Quirinus au pape Nicolas V (Hody, De Græcis, p. 192, d’après un manuscrit de la Bibliothéque de Cotton.)