Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 8.djvu/296

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Tables envers les débiteurs insolvables, et j’oserai préférer le sens littéral de l’antiquité à l’interprétation spécieuse des critiques modernes[1]. Quand on avait obtenu la preuve judiciaire de la créance ou l’aveu du débiteur, ce n’était qu’après trente jours de grâce qu’on livrait celui-ci à son concitoyen, qui le détenait en prison, ne lui donnait que douze onces de riz par jour pour sa nourriture, et pouvait le charger d’une chaîne du poids de quinze livres : on l’exposait trois fois dans la place du marché, afin de solliciter la pitié de ses amis et de ses compatriotes. Lorsque soixante jours s’étaient écoulés, la perte de la liberté ou de la vie acquittait la dette ; on faisait mourir le débiteur insolvable, ou on le vendait comme esclave au-delà du Tibre ; mais si plusieurs créanciers demeuraient inflexibles, la loi les autorisait à le mettre en pièces et à satisfaire leur vengeance par cet affreux partage. Les défenseurs d’une loi si atroce ont dit qu’elle devait intimider fortement les oisifs et les fripons, et les empêcher de contracter des dettes qu’ils ne pouvaient payer ; mais l’expérience dissipait cette crainte salutaire, puisqu’il ne se trouvait aucun créancier qui profitât d’une cruelle disposition dont

  1. Bynkershoek (Observat. juris rom., l. I, c. 1 ; in Opp., t. 1, p. 9, 10, 11) s’efforce de prouver que les créanciers ne partageaient pas le corps, mais la valeur du débiteur insolvable. Mais son interprétation n’est qu’une métaphore continuelle, et ne peut détruire l’autorité des Romains eux-mêmes, de Quintilien, de Cæcilius, de Favonius et de Tertullien. Voyez Aulu-Gelle (Nuits attiques, XXI).