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— L’ornement n’est qu’un condiment. Quant au voile il peut un instant amuser, irriter le désir en différant une révélation plus complète… Si vous n’êtes pas sensible à la beauté féminine tant pis pour vous, et je vous plains, mais n’allez pas chercher à m’établir des règles d’esthétique générale sur un sentiment qui, malgré tout ce que vous pourrez dire, restera un sentiment particulier.

III

— Et c’est un « sentiment particulier » peut-être qui me montre dans la statuaire grecque, à quoi il nous faut bien revenir chaque fois que nous parlons de beauté, l’homme nu et la femme voilée ? Oui, dans cette prédilection quasi constante de l’art grec pour le corps de l’adolescent, du jeune homme, dans cette obstination à voiler le corps de la femme, plutôt que d’y reconnaître des raisons purement esthétiques, préférerez-vous, avec M. de Gourmont, y voir « le produit de la plus fâcheuse aberration sexuelle » ?

— Et quand il me plairait de l’y voir ! Vais-je apprendre de vous l’étendue des ravages de la pédérastie en Grèce ? Au surplus, le choix de ces modèles adolescents ne flattait-il pas simplement le vicieux penchant de quelques mécènes débauchés ? et n’est-il pas permis de douter si le sculpteur cédait à son instinct d’artiste ou non plutôt aux goûts de ceux qu’il servait ? Enfin nous ne pouvons nous rendre compte