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moi ; on vous apprit à vénérer la Grèce, dont nous sommes les héritiers. Dans nos classes et dans nos musées, les œuvres grecques occupent les places d’honneur ; on nous invite à les reconnaître pour ce qu’elles sont : d’humains miracles d’harmonie, d’équilibre, de sagesse et de sérénité ; on nous les propose en exemples. On nous enseigne d’autre part que l’œuvre d’art n’est jamais un phénomène accidentel, et qu’il faut chercher son explication, sa motivation, dans le peuple même, et dans l’artiste qui la produit — celui-ci ne faisant qu’informer l’harmonie qu’il réalisait d’abord en lui-même.

— Nous savons tout cela. Avancez.

— Nous savons également que la Grèce n’excelle pas uniquement dans les arts plastiques, et que cette perfection, ce bonheur, cette aisance dans l’harmonie, nous les retrouvons aussi bien dans toutes les autres manifestations de sa vie. Un Sophocle, un Pindare, un Aristophane, un Socrate, un Miltiade, un Thémistocle ou un Platon, ne sont pas de moins admirables représentants de la Grèce, qu’un Lysippe ou qu’un Phidias. Cet équilibre que nous admirons dans chaque artiste, dans chaque œuvre, est celui de la Grèce entière — belle plante sans atrophie ; le plein développement d’aucun rameau n’a nui au développement d’aucun autre.

— Tout cela vous est accordé depuis longtemps et n’a rien à voir avec…

— Quoi ! vous refuserez-vous à comprendre qu’il existe un rapport direct entre la fleur et la plante qui la supporte, la qualité profonde de sa sève, et sa conduite, et son économie ? Prétendriez-vous me faire admettre que ce peuple, capable d’offrir au monde de tels miroirs de