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sagesse, de force gracieuse et de félicité, ne sut pas lui-même se conduire — ne sut pas apporter d’abord cette sagesse heureuse, cette harmonie, dans sa vie même et le régime de ses mœurs ! Mais dès qu’il s’agit des mœurs grecques, on les déplore, et, ne pouvant les ignorer, on s’en détourne avec horreur[1] ; on ne comprend pas, ou l’on feint de ne pas comprendre ; on ne veut pas admettre qu’elles font partie intégrante de l’ensemble, qu’elles sont indispensables au fonctionnement de l’organisme social et que sans elles la belle fleur que l’on admire serait autre, ou ne serait pas[2].

Si, quittant les considérations générales, nous examinons un cas particulier, celui d’Epaminondas par exemple — que Cicéron considère comme le plus grand homme que la Grèce ait produit — « et l’on ne saurait disconvenir, écrit un de ses biographes (Walckenaer), qu’il offre un des modèles les plus parfaits du grand capitaine, du patriote et du sage » — ce même biographe croit devoir ajouter : « Il nous paraît malheureusement trop certain qu’Epaminondas était adonné à ce goût infâme auquel les Grecs, et surtout les Béotiens et les Lacédémoniens (c’est-à-dire les plus valeureux d’entre eux) n’attachaient aucune honte[3]. » (Biographie universelle.)

  1. Non point toujours. Il est juste de citer ici la clairvoyante appréciation de Herder dans ses Idées sur la Philosophie de l’Histoire.
  2. De sorte que l’on est tenté de dire avec Nietzsche (ce qu’il disait de la guerre et de l’esclavage) : « Nul ne pourra se dérober à ces conclusions, s’il a loyalement recherché les causes de cette perfection que l’art grec atteignit, et l’art grec seul. » (Cité par Halévy, p. 97.)
  3. Cf. les passages de Pascal, de Montaigne — et les récits de la mort d’Epaminondas.