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— Pourtant les faits sont là.

— D’abord, n’oubliez point que c’est à Sparte que nous devons l’ordre dorique, celui même de Pœstum et du Parthénon. Et puis songez que si Homère fût né à Sparte, et aveugle, il eût été jeté aux oubliettes. J’imagine volontiers que c’est là, dans les oubliettes, qu’il faut chercher les artistes lacédémoniens ; Sparte n’a peut-être pas été incapable d’en produire, mais n’ayant en vue et ne se plaisant à considérer que la perfection physique, et quelque infirmité corporelle étant souvent la rançon du génie…

— Oui, je vois ce que vous voulez dire : Sparte a détruit systématiquement tous ceux de ses enfants qui, comme Victor Hugo, naissaient

sans chaleur, sans couleur et sans voix.

— Ce qui, par contre, lui permit de réaliser la forme humaine la plus belle. Sparte inventa la sélection. Elle ne produisit pas de sculpteurs, il est vrai ; mais elle fournit au sculpteur le modèle.

— Il semble, à vous entendre, que tous les modèles d’Athènes vinssent de Lacédémone, comme de Saraginesco les modèles de Rome, aujourd’hui. Cela est proprement bouffon. Vous me permettrez pourtant de croire que les hommes les mieux faits de la Grèce n’étaient pas forcément des brutes, ou que, réciproquement, tous ses artistes des bancroches ou des cagneux. Souvenez-vous du jeune Sophocle à Salamine…

Corydon sourit et d’un geste montra qu’il me laissait sur ce point. Il reprit :

— Encore une remarque au sujet des Spar-