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tiates : vous n’ignorez pas qu’à Lacédémone la pédérastie était non seulement admise, mais même, si j’ose dire, approuvée. Vous n’ignorez point d’autre part que les Spartiates étaient de tribu éminemment guerrière. Les Spartiates, lit-on dans Plutarque, étaient les meilleurs artisans et les plus habiles précepteurs qu’il y eût en tout ce qui concerne l’art des combats. De même, vous n’ignorez point que les Thébains…

— Permettez ! m’écriai-je en l’interrompant ; moi aussi j’apporte mes textes aujourd’hui. Et je sortis de ma poche un carnet où j’avais copié, la veille au soir, cette phrase de l’Esprit des lois (IV, chap. 8) dont je lui fis lecture : Nous rougissons de lire dans Plutarque que les Thébains, pour adoucir les mœurs de leurs jeunes gens, établirent par les lois un amour qui devrait être proscrit par toutes les nations du monde.

— Oui, c’est bien ce que je vous disais, riposta-t-il sans rougir ; il n’est personne aujourd’hui qui ne le condamne, et je sais que c’est une grande folie[1] que de vouloir être sage tout seul ; mais, puisque vous m’y poussez, relisons ensemble tout au long le passage de Plutarque qui fait s’indigner Montesquieu.

Il alla chercher le gros livre « à serrer les rabats », qu’il ouvrit à la Vie de Pélopidas, et où il lut :

Dans tant de combats que les Lacédémoniens

  1. « He that opposes his own judgment against the current of the times ought to be backed with unanswerable truth, and he that has truth on his side is a fool as well as a coward, if he is afraid to own it, because of the multitude of other men’s opinions. It is hard for a man to say, all the world is mistaken, but himself. But if it be so, who can help it ? » Daniel Defoë (cité par Taine, Littérature anglaise, IV, p. 87).