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de se déshonorer aux yeux de leurs amants. » Ceci, dit alors Corydon, vous fait entendre où reposait pour eux la notion du déshonneur. Il n’y a rien là d’étonnant, reprend le sage Plutarque, s’il est vrai que les hommes craignent plus ceux qui les aiment, même absents, qu’ils ne craignent tous les autres, présents. — Et dites si cela n’est pas admirable ?

— Évidemment, ripostai-je ; mais cela est vrai même sans l’intervention des mauvaises mœurs…

— Ainsi ce guerrier, continua-t-il à lire, qui terrassé par un ennemi, et se voyant près d’être égorgé par lui, le pria, le conjura de lui plonger son épée dans la poitrine : « Que du moins mon amant, disait-il, en retrouvant mon cadavre, n’ait pas la honte de le voir frappé par derrière. » On raconte aussi qu’Iolaüs qu’aimait Hercule, partageait ses travaux et combattait à ses côtés. (Mais sans doute préférez-vous imaginer Hercule avec Omphale ou Déjanire ?) Aristote écrit que, de son temps encore, les amants et ceux qu’ils aimaient allaient se faire des serments sur le tombeau d’Iolaüs. — Il est donc vraisemblable que l’on donna à cette troupe le nom de « bataillon sacré » suivant la pensée qui fait dire à Platon qu’un amant est un ami dans lequel on sent quelque chose de divin.

Le bataillon sacré de Thèbes resta invincible jusqu’à la bataille de Chéronée. Après cette bataille, Philippe, en parcourant le champ du carnage, s’arrêta à l’endroit où gisaient les trois cents ; tous avaient la poitrine percée de coups de piques ; et c’était un monceau confus d’armes et de corps réunis et serrés. Il contempla ce spectacle avec surprise ; et apprenant que c’était