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— Alors de quoi vous plaignez-vous ?

— De l’hypocrisie. Du mensonge. Du malentendu. De cette allure de contrebandier à quoi vous contraignez l’uraniste.

— Enfin, vous voudriez en revenir aux mœurs grecques.

— Plût aux Dieux ! et pour le grand bien de l’État.

— Le christianisme, Dieu merci, a passé par là-dessus, balayant, assainissant, parfumant et sublimant tout cela ; fortifiant la famille, consacrant le mariage et, en dehors de quoi, préconisant la chasteté ; c’est bien là que je vous attends.

— Ou vous m’aurez bien mal écouté, ou vous aurez pourtant compris que je n’admets en ma pensée rien de contraire au mariage, de funeste à la chasteté. Je puis redire avec Malthus : Je serais inconsolable de dire quoi que ce soit, directement ou indirectement, qui pût être interprété dans un sens contraire à la vertu. Je n’oppose point l’uranisme à la chasteté, mais bien une convoitise, satisfaite ou non, à une autre. Et précisément je soutiens que la paix du ménage, l’honneur de la femme, la respectabilité du foyer, la santé des époux étaient plus sûrement préservés avec les mœurs grecques qu’avec les nôtres ; et, de même, la chasteté, la vertu, plus noblement enseignée, plus naturellement atteinte. Pensez-vous que saint Augustin eut plus de mal à s’élever à Dieu, pour avoir donné son cœur d’abord à un ami, qu’il aimait autant que jamais une femme ? Estimez-vous vraiment que la formation uranienne des enfants de l’antiquité les disposât à la débauche plus que la formation hétérosexuelle de nos écoliers