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que l’on ne préfère dire que cette indulgence vint directement de Virgile. Elle venait sûrement aussi de la considération que l’un et l’autre étaient bien forcés d’avoir pour les gens de valeur qui la composent.

Si je dis tout ceci c’est que votre livre ne le dit pas. Mais ce qui me paraît y manquer surtout, c’est un chapitre, que semblait promettre votre préface, un chapitre qui formerait réponse à cette question que personne n’a l’air de se poser, encore qu’elle me semble inéluctable : — Quel est, selon vous, dans leurs rapports avec la littérature, le devoir de ces « grands lettrés », j’entends : de ceux qui font partie de cette troupe ? Certes ils ne sont pas tous tenus de parler de l’amour ; mais, s’ils en parlent, ce qui est assez naturel, poètes ou romanciers, devront-ils feindre d’ignorer celui « qui n’ose dire son nom », alors que, si souvent, c’est à peu près le seul qu’ils connaissent ? Car enfin, s’écrier avec tel et tel : « En voilà assez ; la mesure est comble ! », c’est fort joli, mais c’est avouer du même coup qu’on préfère le camouflage. Ne voient-ils qu’avantage dans le travestissement qu’implicitement ils conseillent ? Pour moi je crains que ce constant sacrifice à la convention, consenti par plus d’un poète ou d’un romancier, parfois célèbre, ne fausse un peu la psychologie et n’égare grandement l’opinion.

— Mais la contagion ! direz-vous. Mais l’exemple !…

Pour épouser votre crainte, il me faudrait

    qui, lorsque Dante les interroge, lui disent assez mystérieusement et improprement : Nostro peccato fu ermafrodito ; à quoi Lamennais ajoute en note : « Ce mot indique ici l’union bestiale de l’homme avec les animaux. »