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être un peu plus convaincu que je ne suis.

1o que ces goûts puissent si facilement s’acquérir ;

2o que les mœurs qu’ils entraînent portent nécessairement préjudice soit à l’individu, soit à la société, soit à l’État.

J’estime que rien n’est moins prouvé.

Le snobisme et la mode m’irritent autant que vous ; et, peut-être, sur ces points, plus que vous. Mais je crois que vous vous exagérez leur importance, tout comme celle de l’influence que je peux avoir.

« À qui M. Gide fera-t-il croire qu’on doive préférer l’œillet vert à la rose ? » s’écriaient hier Jérôme et Jean Tharaud. (Et l’on sait ce qu’il faut entendre par ces deux fleurs symboliques.) — À qui ? Mais, à personne. Et je ne puis mieux répondre que par cette question même, à ceux qui m’accusent de pervertir.

Si je m’occupe ainsi de votre livre, mon cher Porché, c’est que, pour la première fois, je me trouve en face d’un adversaire honnête ; je veux dire : que n’aveugle point une indignation préconçue. Et même, à ce reproche de forfanterie que vous formulez et qui s’adresse peut-être un peu à moi, je ne proteste que faiblement. Mais vous m’accorderez qu’il est bien difficile, où si longtemps la dissimulation fut de rigueur, d’être franc sans paraître cynique, et naturel avec simplicité.

Tout amicalement votre

André Gide.