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I

— Après lecture du livre de Bazalgette, commençai-je, il appert que ce portrait n’a pas grand-raison de figurer sur votre table.

Ma phrase était impertinente ; Corydon feignit de ne la point comprendre ; j’insistai.

— D’abord, répondit-il, l’œuvre de Whitman reste également admirable, quelle que soit l’interprétation qu’il plaise à chacun de donner à ses mœurs…

— Avouez pourtant que votre admiration pour Whitman a quelque peu faibli depuis que Bazalgette a démontré qu’il n’avait pas les mœurs que vous étiez heureux de lui prêter.

— Votre ami Bazalgette n’a rien démontré du tout ; tout son raisonnement tient dans un syllogisme qu’on peut aussi bien rétorquer :

L’homosexualité, pose-t-il en principe, est un penchant contre nature.

Or, Whitman était de parfaite santé ; c’était, à proprement parler, le représentant le plus parfait que nous ait offert la littérature, de l’homme naturel…

Donc Whitman n’était pas pédéraste. Voici qui me paraît péremptoire.

— Mais l’œuvre est là, où M. Bazalgette aura beau traduire par « affection » ou « amitié » le mot love et sweet par « pur » dès qu’il s’adresse au « camarade »… Il n’en restera pas moins que toutes les pièces passionnées, sensuelles, tendres, frémissantes, du volume sont du même ordre :