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cachent, des complaisances de leurs pareils ; ne briguez point pour eux l’approbation, ni même l’indulgence, des honnêtes gens.

— C’est pourtant de l’estime de ceux-ci que je ne puis pas me passer.

— Qu’y faire ? Changez vos mœurs.

— C’est que je ne puis pas les changer. Voilà le dilemme auquel Krupp, Macdonald et tant d’autres ne virent d’autre solution que le coup de revolver.

— Heureusement vous êtes moins tragique.

— Je n’en jurerais point ; mais je voudrais écrire mon livre.

— Avouez qu’il entre passablement d’orgueil dans votre cas.

— Pas le moindre.

— Vous cultivez votre bizarrerie, et, pour n’en être plus honteux, vous vous félicitez de ne vous sentir pas pareil aux autres.

Il haussa de nouveau les épaules et fit quelques pas dans la pièce sans rien dire ; puis, semblant maîtriser enfin l’impatience que mes derniers propos lui causaient :

II

— Naguère vous étiez mon ami, dit-il en se rasseyant près de moi. Il me souvient que nous savions nous comprendre. Vous est-il bien indispensable aujourd’hui, à chaque phrase que je dis, de mettre au vent votre ironie ? Ne sauriez-vous, je ne dis certes pas m’approuver, mais m’écouter de bonne foi ? comme de bonne foi