Page:Gide - Corydon, 1925.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33

de soi, la chasteté soient choses inconnues parmi eux ?

— Sans doute il est heureux que les lois et le respect humain les y contraignent quelquefois.

— Tandis que vous trouvez heureux que les lois et les mœurs vous y contraignent si peu.

— Mais enfin vous m’impatientez ! Le mariage, l’honnête mariage est là, et pas de votre côté je suppose. Je me sens, en face de vous, de l’humeur de ces moralistes, qui, hors du conjungo, ne voient dans le plaisir de la chair que péché et réprouvent toutes relations à l’exception des légitimes.

— Oh ! je leur rendrai des points là-dessus ; et, pour peu que vous m’y poussiez, je saurai me montrer plus intransigeant qu’eux. Sur le nombre d’alcôves conjugales où, comme médecin, j’ai été appelé à pénétrer, je vous jure que j’en ai vu de peu propres, et je ne parierais pas volontiers que le plus d’ingéniosité, de perversité si vous préférez, dans la mécanique amoureuse, ce soit toujours chez la courtisane qu’il le faille chercher, et non pas dans certains ménages « honnêtes ».

— Vous êtes révoltant.

— Mais si l’alcôve est conjugale, le vice y est aussitôt blanchi.

— Entre époux ils peuvent bien faire ce qu’ils veulent ; cela leur est permis. Encore une fois cela ne vous regarde pas.

— « Permis » ; oui, j’aime mieux ce mot-là que « normal ».

— L’on m’avait prévenu que chez vos pareils le sens moral était étrangement faussé. À quel point ! j’en reste étonné. Vous semblez complètement perdre de vue cet acte naturel de la fécon-