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châtre. La Nature, elle, ne châtre pas. Voyez, chez les castrats, cette inutile et déplaisante bouffissure que vont former les tissus de réserve : bœufs, chapons, ne sont plus bons que pour nos tables. La castration fait du mâle une manière de femelle : il en prendra le type, ou pour mieux dire : le gardera. Or, tandis que, chez la femelle, cette matière de réserve est aussitôt employée pour la race, que devient-elle donc chez le mâle non châtré ? Matière à variations. Voici la clef, je crois, de ce qu’on appelle le dimorphisme sexuel, qui, dans à peu près toutes les espèces dites « supérieures », fait du mâle un être de parade, de chant, d’art, de sport, ou d’intelligence — de jeu.

— J’ai noté dans Bergson, continua-t-il en fouillant ses papiers, un remarquable passage qui, me semble-t-il, peut éclairer encore mieux la question… Ah ! le voici : il s’y agit de l’opposition des deux ordres de phénomènes que l’on constate dans les tissus vivants, anagénèse d’une part, catagénèse de l’autre. Le rôle des énergies anagénétiques, dit-il, est d’élever des énergies inférieures à leur propre niveau pour l’assimilation des substances organiques. Elles construisent les tissus. Au contraire… Pour la catagénèse la définition est moins frappante ! mais vous avez déjà compris : anagénétique le rôle de la femelle ! catagénétique le rôle du mâle. La castration, en faisant triompher chez le mâle une force anagénétique sans emploi, montre combien la dépense gratuite lui est naturelle.

— Pourtant ce surcroît d’éléments ne peut, chez les mâles non châtrés, prêter matière à variations qu’à condition, je pense, de n’être