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elle s’émancipe, vous dis-je, ne voit plus rien au delà d’elle et se suffit[1].

N’est-ce pas Chamfort qui réduisait l’amour au « contact de deux épidermes » ?

— Et à « l’échange de deux fantaisies ».

— Laissons à l’homme la fantaisie ; aux animaux la seule volupté du contact.

— Irez-vous jusqu’à dire que l’instinct sexuel s’y réduit ?

— Non ! mais que, sans le secours d’expédients dont je vais tout à l’heure parler, il n’est pas sûr — ainsi que vous le disiez par boutade — il n’est pas toujours assuré que le mâle eût choisi la femelle, obtenu la fécondation. C’est là, vous dis-je, une entreprise ardue, et la Nature n’y parviendra pas sans l’intervention d’adjuvants.

VI

Trop nouvelle pour mon goût, cette théorie m’avait désarçonné d’abord ; mais me ressaisissant aussitôt :

— Parbleu ! Vous voulez rire ! Pas d’instinct sexuel, Corydon ! Je ne suis pas grand clerc en histoire naturelle, il est vrai, et me reconnais mal enclin à l’observation, mais, à la campagne

  1. De même il n’est pas un des sports du mâle qui, après avoir peut-être joué son rôle dans la sélection, ne s’émancipe et ne trouve en lui-même sa fin.

    Je rappellerai ici ce que Fabre disait des locustiens, et qu’il aurait tout aussi bien pu dire des oiseaux : « À quoi bon cet appareil sonore ? Je n’irai pas jusqu’à lui refuser un rôle dans la formation des couples. Mais sa fonction fondamentale n’est pas là. Avant tout, l’insecte l’utilise pour dire sa joie de vivre, pour chanter les délices de l’existence… ».