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— C’est l’un et l’autre ; l’un avec l’autre ; et comme le parfum n’existerait pas sans la chienne…

— Mais si, pourtant, après avoir constaté que la chienne n’excite pas le chien sans ce parfum, nous constatons que ce parfum excite le chien, indépendamment de la chienne, n’aurons-nous pas fait une manière d’experimentum crucis dont se satisferait Bacon ?

— Quelle expérience saugrenue proposez-vous là ?

— Celle que Rabelais nous raconte obscènement, c’est-à-dire avec précision, dans le livre second de son Pantagruel (chap. xxii). Nous y lisons que Panurge, pour se venger des rigueurs d’une dame, s’empare d’une chienne en chaleur, la charcute, arrache ses ovaires et, les ayant bien triturés, en fait une manière d’onguent qu’il répand sur la robe de la cruelle. Ici je cède la parole à Rabelais.

Et s’étant levé, Corydon alla chercher dans sa bibliothèque le livre dont il me lut ce passage :

 
 
 

— Faut-il voir là plus et mieux qu’une fantaisie ?

— Qui ne suffirait pas, sans doute, à nous convaincre, reprit-il ; mais la nature nous propose sans cesse des exemples aussi probants[1] : ce parfum, pour les sens de l’animal, est si fort,

  1. Citons ceux que rapporte Fabre : une femelle de petit paon de nuit attire, dans la salle d’études de Fabre, tout un peuple de petits paons mâles. Ces papillons font le siège de la cloche en treillis où la femelle est encagée ; indifférente, celle-ci reste assise sur la ramille que Fabre suspend au centre