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si troublant, qu’il déborde le rôle que la sexualité lui assigne (si j’ose m’exprimer ainsi) et grise comme un simple aphrodisiaque non seulement le mâle, mais aussi d’autres femelles qui viennent contre la femelle en rut, essayer de maladroits rapprochements[1]. Les fermiers écartent du troupeau la vache en chaleur qu’importunent les autres vaches[2]… Enfin, et c’est là que j’en veux venir : si l’appétit sexuel se réveille chez le mâle à l’odeur périodique de la femelle, il ne se réveille pas rien qu’alors[3].

— L’on a soutenu, et avec raison je présume, que le mâle en effet pouvait exciter d’autres mâles, emportant avec lui le parfum d’un récent coït, et par suite l’évocation de la femelle.

— Il serait bien étrange que ce parfum qui

    de la cloche. Si, le lendemain, Fabre change de cage et de perchoir la femelle, c’est la première cage, laissée à l’autre extrémité de la pièce, c’est surtout le rameau perchoir de la veille, tout imprégnés de subtiles émanations, vers quoi les prétendants s’empressent ; si apparente que soit pour eux la femelle, que Fabre a soin pourtant de placer sur leur chemin, ils la laissent tous de côté, passent outre, et c’est le rameau qu’ils assaillent, puis la place que ce rameau occupait sur une chaise, après qu’ils l’ont fait tomber sur le plancher.

  1. Une chienne de ma connaissance fait bon ménage avec un couple de chats ; au temps des chaleurs de la chatte, elle s’affole et parfois cherche à chevaucher celle-ci à la manière d’un matou.
  2. On voit même des vaches en chaleur monter les unes sur les autres, soit qu’elles aient l’idée de provoquer ainsi le mâle, soit que la représentation visuelle qu’elles se font de l’acte désiré les force à en essayer la simulation », écrit M. de Gourmont, après avoir dit quelques lignes plus haut : « En général, les aberrations animales demandent des explications toutes simples. » — Puis il ajoute : « C’est un exemple merveilleux, parce qu’il est absurde, de la force motrice des images. » Je crains qu’il ne soit encore plus absurde que merveilleux.
    (Physique de l’amour, p. 229 et 230.)
  3. « On voit aussi certains animaux s’adonner à l’amour des mâles de leur sexe », dit assez bizarrement Montaigne dans l’Apologie de Raimond Sebond.