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qu’ils ne le sachent pas — ou seulement d’une manière aussi confuse que l’est peu, d’ordinaire, l’instinct.

Or il s’agit, pour que la fécondation s’opère, de faire converger, une fois du moins, deux flottants désirs. De là ce suasif arôme que va répandre en temps propice la femelle, la désignant impérativement au mâle ; arôme, ou sans doute émanation plus subtile encore, et que l’antenne de l’insecte percevra ; que dégagera non plus la femelle, mais l’œuf, pour quelques espèces de poissons par exemple, où la fécondation ne s’opère qu’après la ponte, sur l’œuf directement, et où la femelle semble exclue du jeu de l’amour.

C’est une porte unique momentanément et très étroitement entrouverte, par où doit s’insinuer le futur. Pour une si inconcevable victoire sur l’inorganisé, sur la mort, Nature, la prodigalité t’est permise ! Sans doute n’y a-t-il pas là « dépense inconsidérée », non, car, de tant de déchet, ce n’est pas payer trop cher ton triomphe…

— « Déchet », vous l’avez dit.

— Oui, déchet, au point de vue de la finalité utilitaire. Mais c’est sur ce déchet que l’art, la pensée et le jeu pourront fleurir. Et comme nous avons vu ces deux forces, anagénétique et catagénétique, s’opposer, ainsi verrons-nous deux dévoûtements possibles : celui de la femelle à sa race ; celui du mâle à son art, à son sport, à son chant. Connaîtrez-vous plus beau drame que celui où ces deux dévoûtements s’affronteront dans un conflit sublime ?

— N’empiétons-nous pas sur notre conversation de demain ? Aussi bien ne voudrais-je pas