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quitter l’histoire naturelle sans vous poser encore quelques questions :

— Prétendez-vous que les goûts homosexuels se retrouvent chez toutes les espèces animales ?

— Chez beaucoup ; non peut-être chez toutes. Je ne peux trop parler, faute de renseignements suffisants… Pourtant je doute fort qu’on les retrouve chez ces espèces où le coït est le plus difficile, ou du moins le plus compliqué, et nécessite le plus d’efforts ; chez les libellules par exemple ou chez certains aranéides qui pratiquent une sorte de fécondation artificielle ; chez d’autres enfin, où le mâle, aussitôt après le coït, ou même durant le coït, est dévoré par la femelle… Ici vous dis-je je n’affirme point ; je me contente de supposer.

— Étrange supposition !

— Il suffirait peut-être, pour l’affermir, de constater que, chez les espèces au coït acrobatique ou périlleux, l’élément mâle est en proportion moindre. Or quelques mots de Fabre me font sursauter : « C’est dans la seconde quinzaine d’août que je commence à rencontrer l’insecte adulte… Les femelles à ventre volumineux sont de jour en jour plus fréquentes. Leurs fluets compagnons sont, au contraire, assez rares et j’ai parfois bien de la peine à compléter mes couples[1]. » Il s’agit ici de la mantis religiosa qui dévore toujours son époux.

Cette raréfaction de l’élément mâle cesse de paraître paradoxale si la précision de l’instinct la compense. Dès que l’amant doit être sacrifié par l’amante, il importe que le désir qui le précipite au coït soit impérieux et précis ; et dès

  1. T. V, p. 291.