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que le désir se précise, le surnombre des mâles devient inutile. Par contre il importe que le nombre des mâles[1] augmente dès que l’instinct se relâche ; et l’instinct se relâche dès que le péril s’écarte de la volupté ; ou du moins dès que la volupté devient facile.

De sorte que cet inquiétant axiome : le nombre des mâles diminue tandis que la difficulté du coït augmente ne serait après tout qu’un corollaire naturel de ce que j’avançais d’abord : le surnombre des mâles (ou la surabondance de l’élément mâle) compense l’imprécision de l’instinct ; ou si vous préférez : l’imprécision de l’instinct trouve sa preuve dans la surabondance de l’élément mâle ; ou encore…

— J’ai compris.

— Je tiens à préciser :

1o L’instinct est d’autant plus précis que le coït est plus difficile.

2o Le nombre des mâles est d’autant moindre que l’instinct est plus précis.

3o D’où : le nombre des mâles diminue tandis que la difficulté du coït augmente (pour ces mâles que la femelle offre en holocauste à l’amour) ; sans doute que, s’il était quelque autre façon de goûter la volupté, ils délaisseraient aussitôt le périlleux coït — et que l’espèce en serait éteinte. Mais sans doute aussi que la Nature ne leur laisse aucun autre moyen de se satisfaire[2].

  1. Ou la proportion de l’élément mâle, je veux dire : la surabondance de la matière séminale, dès que l’individu ne trouve pas dans le coït l’achèvement de sa carrière.
  2. Il est remarquable que, précisément chez cette espèce (mantis religiosa) et malgré le petit nombre de mâles, chaque femelle est prête à en faire une consommation déréglée ; elle continue à s’offrir au coït et reste appétissante au mâle même