Page:Gide - L’Immoraliste.djvu/52

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mon crachat, pris une paille et, soulevant le caillot, le déposai sur mon mouchoir. Je regardai. C’était un vilain sang presque noir, quelque chose de gluant, d’épouvantable… Je songeai au beau sang rutilant de Bachir. Et soudain me prit un désir, une envie, quelque chose de plus furieux, de plus impérieux que tout ce que j’avais ressenti jusqu’alors : vivre ! je veux vivre. Je veux vivre. Je serrai les dents, les poings, me concentrai tout entier éperdument, désolément, dans cet effort vers l’existence.

J’avais reçu la veille une lettre de T*** ; en réponse à d’anxieuses questions de Marceline, elles était pleine de conseils médicaux ; T*** avait même joint à sa lettre quelques brochures de vulgarisation médicale et un livre plus spécial, qui pour cela me parut plus sérieux. J’avais lu négligemment la lettre et point du tout les imprimés ; d’abord parce que la ressemblance de ces brochures avec les petits traités moraux dont on avait agacé mon enfance, ne me disposait pas en leur