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la porte étroite

Je restai sans répondre.

— Toi, reprit-elle dans un cri.

— Mais c’est de la folie !

— N’est-ce pas ! — Il y avait à la fois du désespoir et du triomphe dans sa voix. Elle se redressa ou plutôt se rejeta toute en arrière…

— Maintenant je sais ce qui me reste à faire, ajouta-t-elle confusément en ouvrant la porte du jardin qu’elle referma violemment derrière elle.


Tout chancelait dans ma tête et dans mon cœur. Je sentais le sang battre à mes tempes. Une seule pensée résistait à mon désarroi : retrouver Abel ; lui pourrait m’expliquer peut-être les bizarres propos des deux sœurs… Mais je n’osais rentrer dans le salon où je pensais que chacun verrait mon trouble. Je sortis. L’air glacé du jardin me calma ; j’y restai quelque temps. Le soir tombait et le brouillard de mer cachait la ville ; les arbres étaient sans feuilles, la terre et le ciel